Chez Catheolia

Catheolia embrassa Ely, Kermor et Felix, puis les regarda s'éloigner tous les trois.
Elle se retourna vers Matabei, souriant.

On dirait que nous sommes abandonnés... lacha-t-elle en riant.

Elle alla ramasser les fleurs tandis que Matabei ramassait ses outils laissés par terre. Ils rentrèrent dans la maison.

Bon cette fois, je ne vais pas vous laisser travailler seul... dites moi en quoi je pourrais vous être utile?

"Votre aide me serait très utile" répondit Matabei une fois rentré à l'intérieur de la maison. "Voyez, les différentes pièces sont prêtes, mais il faut encore les monter puis les vernir pour les protéger." Matabei ne savait pas si Catheolia était une grande bricoleuse, mais en tout cas ils rirent bien de leurs bêtises et maladresses respectives pendant cette petite séance de montage.

Matabei était très gêné quand il faisait une bêtise. Il n'en faisait pas beaucoup, mais à chaque fois il devait s'excuser et cela faisait énormément rire Catheolia. Finalement, il se dit que ce n'était pas si désagréable d'être (un peu) maladroit.

Le reste de la journée passa à très grande vitesse. Matabei n'avait pas été aussi heureux depuis assez longtemps. Son âme était en paix et il avait retrouvé la sérénité et la joie de vivre qui le caractérisait.

Carpe diem! Il se souvenait de ces mots, de ce conseil qui lui avait été prodigué un soir en taverne. Profite du temps qui passe! Matabei était bien décidé à profiter de chaque moment passé en compagnie de la ravissante Catheolia.

Le vieux chêne, les jus de fruits, les rires et les joies, tout était si parfait en ce Royaume de France. Tout comme Catheolia, Matabei souhaitait que cette soirée ne finisse pas, qu'il puisse continuer d'écouter sa voix cristalline ou d'admirer discrètement la clarté de son regard. Mais, alors même qu'il se laissait envahir par cette curieuse torpeur que les poètes de ce pays nomment d'un autre nom et que son visage se rapprochait dangereusement de celui de sa magnifique voisine, Matabei entendit un curieux croassement.

"Le moment était donc venu", pensa-t-il refusant de regarder d'où pouvait bien venir ce bruit. Il respira profondément puis commença d'un air terriblement navré "Ma dame, je suis au regret de devoir vous quitter".

"Il y a quelque chose que je dois faire et qui ne peut attendre", poursuivit-il, "Croyez bien que je suis sincèrement désolé, mais je ne peux manquer à la parole donnée".

Il se leva avec difficultés, salua celle qui était devenue son amie, et d'un pas résolu mais un peu saccadé s'en alla affronter son destin.

[La suite Chez Matabei; dans la nuit du 29 au 30 avril]

Catheolia se réveilla en sursaut au beau milieu de la nuit. Le coeur battant, elle se demanda ce qui avait put provoquer ce réveil, alors qu'elle venait de s'endormir. Elle essaya de reconstituer les images qui avaient bousculé son esprit. La nuit, la forêt, un homme vêtu étrangement avec un sabre à la main, et qu'elle avait à peine eu temps de reconnaitre... non ce n'était pas possible...

Catheolia se leva et sortit dans la fraicheur de la nuit. Tout semblait calme dehors, et pourtant, Catheolia avait l'étrange impression que quelquechose n'allait pas. Oui mais quoi?
Le vent se mit à souffler, et avec lui des paroles étranges parvinrent à Cath, comme des pensées, quelquechose que l'on aurait écrit quelque part pour ne pas l'oublier :

Citation :

Je suis comme un invité,
que pourrais-je regretter?
Le temps est venu où
en dehors de la tempête
tombent aussi les fleurs

.

Une larme glissa sur sa joue. Elle ferma les yeux, et se mit à réciter ces mots qu'elles avait appris toute petite, mais qu'elle avait gardé si longtemps enfouis... ces paroles qui ne se transmettent que de mères à filles... Les entendrait-il?

Il était tard, mais plutôt que de rentrer chez lui, Matabei souhaitait tout de même passer chez Dame Catheolia. Un pressentiment peut-être? Il voulait juste s'assurer que tout allait bien, qu'elle était en sécurité.

Or, tel n'était pas le cas. Au détour d'un chemin, il l'aperçut allongée dans la neige à proximité de chez elle. En une seconde, Matabei fut à ses côtés. Elle respirait encore, mais difficilement, son pouls était faible. Elle était tout simplement épuisée.

Matabei l'a pris délicatement dans ses bras en s'efforçant de ne pas trop la malmener. Il rentra chez elle et la déposa sur son lit pour mieux la recouvrir d'épaisses couvertures. Rapidement, il ralluma le feu et fit chauffer de l'eau pour préparer une tisane si d'aventures elle se reveillait. En l'état, toutefois, le seul remède qui lui paraissait envisageable était le sommeil.

Il en profita pour se préparer quelques compresses et tenter tant bien que mal de panser sa blessure. Ce bref moment passé, Matabei s'assit à proximité de Catheolia pour la veiller et ce toute la nuit s'il le fallait. Il l'observa longuement n'osant troubler son repos. Il nota ses sourcils délicats, son nez aquilin, ses lèvres parfaites. "Quelle était belle" songea-t-il perdu dans ses rêveries.

Catheolia ouvrit les yeux tout doucement. Tout était flou. Elle reprit peu à peu conscience avec la réalité, elle se rendit compte qu'elle était dans son lit. Il faisait chaud, elle était recouverte de plusieurs épaisseurs et au crépitement elle sut qu'un feu avait été allumé.

Cath tourna la tête, sentant une présence à côté d'elle. Matabei était là, au bord du lit. Elle sourit avec difficulté. Elle se sentait tellement mal...

Vous êtes venu...

"Je suis désolé, ma dame, je passais et je vous ai vu allongée effondrée devant chez vous. Je me suis permis de vous transporter ici. Vous aviez l'air épuisée". Matabei se précipita pour prendre la tisane et commencer à la faire infuser, "Je vous en prie ne vous fatiguez pas, tout va bien maintenant. Si cela ne vous dérange pas, je crois que je vais rester un peu ... enfin pour la nuit je veux dire ... et pour vérifier que tout va bien".

Catheolia tenta de se redresser, mais elle se sentait faillir.

Je crois que la tisane va attendre un peu... elle sourit.

Vous êtes là... Elle le regarda puis remarqua la tache rouge sur son kimono. Elle palit. Etait-ce grave?

Cath saisit la main du jeune homme et la serra.
Vous... vous voulez bien rester? Je ne voudrais pas vous voir partir une seconde fois...

"Ceci [en montrant la petite tache], une petite faute d'inattention. Ce n'est pas grand chose, soyez assurée que je ferai plus attention à l'avenir", fit-il en lui tenant les mains. "Je suis auprès de vous, ici, maintenant et pour longtemps. Reposez-vous, je vous en prie, je vous dois tant".

Qu'il était bon d'entendre ces paroles!! Catheolia retenta de se redresser, et cette fois y parvint à peu près.

Je crois que finalement je vais tenter de boire un peu...
Je n'ai pas fai grande chose Matabei, si ce n'est vous rappeler que votre chemin ne s'arrêtait pas maintenant... Je... j'ai...

La jeune femme se tut, et le regarda d'un air anxieux. Allait-il comprendre qu'elle avait fait celà parce qu'elle ne voulait pas le perdre? Savait-il seulement qu'elle avait vu le duel? Et que tout ce qu'elle avait fait, c'était par amour?

En l'écoutant, Matabei décida soudainement de déposer un léger baiser sur les lèvres de Catheolia comme pour lui indiquer qu'il avait compris.

"En réalité, ma dame, même s'il est des choses que je ne peux comprendre et encore moins expliquer, je souhaite néanmoins vous donner ceci en gage de mes sentiments", sur ces mots Matabei tendit à Catheolia l'une des deux plumes du Kenku. "Cela vient d'un ami assez exigeant, et je crois qu'il comprendra ainsi à quel point vous m'êtes importante. Ainsi, je pourrai veiller sur vous comme vous avez su veiller sur moi."

Catheolia resta surprise un instant. Il avait compris... elle sourit.

Avisant la plume, elle sut d'où elle venait mais ne dit rien. Elle la pressa contre son coeur.
Merci, dit-elle simplement.

Ils se regardèrent longuement...

Il aimait bien les ils. C'était assurément une sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps. Matabei sourit en pensant aux journées à venir. Il embrassa tendrement Catheolia et lui murmura "Reposez-vous, maintenant, il faut reprendre des forces".

Quand Catheolia s'endormit, Matabei ne tarda pas à s'assoupir à son tour tant il était certain qu'il ne risquait rien en sa compagnie. Cela faisait des nuits que Matabei n'avait pas dormi ainsi.

Le temps est devenu bizarre... de la neige au mois de mai...

Catheolia s'assit sur le pas de la porte. Elle avait bien dormi, trop bien même. C'était le première fois depuis longtemps qu'elle avait autant baissé ses gardes pendant son sommeil.
Mais... quand elle s'était réveillé, presque en sursaut, elle avait vu Matabei auprès d'elle qui lui dormait encore, épuisé. Elle avait sourit devant ce visage qui paraissait si tranquille, y avait posé un baiser et s'était levée sans faire de bruit.
Elle avait ravivé le feu et sorti une miche de pain du coffre, qu'elle avait posé près de l'âtre. Elle était ensuite sorti voir le temps qu'il faisait.

Assise devant la porte, elle se remit à songer aux évênements de la veille.
Qu'allait-il se passer maintenant?

Il est des moments dans la vie où la plus parfaite routine se dérègle. Depuis des années, Matabei se levait à l'aube, pratiquait kata sur kata pour refaire encore et toujours les mêmes gestes, se consacrait aux études, aux voyages ou même à des activités manuelles avec la précision du métronome, méditait, écrivait et se couchait en espérant être à la hauteur de la mission qui lui avait été confiée. Ce qu'il faisait, il le faisait seul.

Et là, en un instant, il avait tout oublié. Il dormait sereinement, oubliant même de se réveiller. Il était bien trop épuisé pour rêver, mais son visage marqué d'un grand sourire montrait à quel point il profitait de la chaleur des lieux. L'odeur du pain frais et chaud ne tarda toutefois pas à lui chatouiller les narines. Il commençait à reprendre conscience et à se rendre compte ... qu'il n'était pas chez lui et surtout qu'il n'était plus seul.

Il était avec elle. Cette pensée suffit à lui faire perdre de vue qu'il était loin des siens, incapable de les défendre contre la sourde menace mongole. Il se leva, rectifia son kimono qui portait encore les traces d'une nuit passée à la belle étoile, s'approcha doucement de celle qui lui avait sans doute sauvé la vie et lui murmura tendrement à l'oreille:

"De la neige au mois de mai... C'est vraiment étrange. Pour un peu, je serais prêt à penser que vous êtes l'une de ces princesses des neiges dont parlent les légendes".

Perdue dans ses pensées, Catheolia ne l'entendit pas se lever. Elle sursauta quand il s'agenouilla auprès d'elle. Se retournant ver lui, elle sut à son sourire que tout serait différent désormais. Il était là, il ne la quitterai pas... Catheolia se laissa aller contre l'épaule de son aimé. Elle était heureuse.

Une princesse des neiges? je ne connais pas cette légende... tu me la raconteras un jour?

Elle leva les yeux vers lui et ne pouvant plus resister, elle l'embrassa longuement...

Catheolia se dégagea doucement, se leva et rentra dans la maison, entrainant Matabei qui ferma la porte. Ils 'insatllèrent près de l'âtre et très vite, Cath revint dans les bras de son amour. Elle se blottit contre lui et savoura le bonheur... Des baisers, des caresses... elle n'avait besoin de rien d'autre aujourd'hui. Personne ne les verrait. Ils se coupèrent du monde...

Je... Je t'aime, dit-elle avant de l'embrasser.

Tout comme les humains, les animaux sont curieux par nature ... Une fois la porte fermée, il ne fallut pas très longtemps pour que le corbeau s'approche de la demeure de Catheolia. Il se posa silencieusement sur le rebord de la fenêtre et hissa sa tête à hauteur du carreau.

Seulement, il est de chose que même un corbeau peut comprendre. Ce qui se passait à l'intérieur n'était pas de son ressort. Si les mots permettent éventuellement de décrire telle ou telle action, d'expliquer tel ou tel mouvement, ils sont souvent impropres à définir l'intensité des premiers émois. Chacun devra donc imaginer ce qui se passe dans cette maison entre ces deux êtres que le hasard ou le destin avait réuni.

Pour saluer tant de bonheur, le corbeau improvisa un petit haiku avant de s'en aller aussi vite qu'il était venu:

"La nuit de printemps
s'achève, le jour se lève
sur les cerisiers"

"Fais confiance à ton coeur, ma fille, tant qu'il ne fait pas obstacle à ta mission. Mais prend garde à ce qu'il ne te consumme pas, sans quoi tu failliras."

Cette phrase trottait dans la tête de Catheolia depuis qu'elle était en âge d'aimer. Sa mère l'avait toujours longuement mise en garde, allant jusqu'à la punir si elle s'avaisait de regarder quelqu'un d'un peu trop près. Mais la pire colère parmi toutes celles qu'avait pu avoir sa mère à ce sujet était survenu lorsqu'innocemment, un jour où la petite Catheolia apprenait les rudiments des compositions de toutes (et vraiment toutes) sortes que l'on pouvait faire à base d'herbes, elle finit par poser cette question :

Mais, mère, si je suis ici, c'est bien parce que vous avez aimé un jour?

Jamais Cath n'avait pu oublier la fureur dans laquelle était rentrée sa mère ce jour là. Elle n'avait jamais plus oser lui adresser la parole concernant tout ce qui touchait de près où de loin l'amour et ses mytères.

Seulement, à mesure que la fillette se transformait en jeune fille, elle se rendit compte que le destin que lui proposait sa mère n'était pas le sien. Elle voyait les gens évoluer autour d'elle, si proches mais en meme temps si lointain... Cath voulait les rejoindre, mais se sentait comme prisonnière de sa lignée. Il fallait fuir, fuir à tout prix... Partir très loin, là où il n'y aurait plus personne pour lui dicter sa vie.


Et la voilà, quelques années plus tard, à l'autre bout du Royaume. Apprenant à vivre au contact des gens, doucement. Un dur labeur sur la route, suivi d'un dur labeur en arrivant dans cette ville où, épuisée, elle avait fini par s'arrêter. Mais ca avait fini par payer...

Et la voilà, ce soir, dans les bras d'un homme qui lui ressemble, mais qui en même temps est différent. Lui aussi a voyagé, lui aussi a eu des règles dans sa vie qui l'ont privé d'un éveil aux sentiments.
Les voilà tous les deux, apprenant au contact de l'autre, laissant s'éveiller doucement les émotions... La même phrase restera gravée dans l'esprit de Catheolia. Mais qu'importe, ce soir, elle a décidé de laisser son coeur la submerger un instant.
Le rideau se ferme, le monde est au dehors. Ce soir, ils découvrent un autre univers : le leur.