Matabei s’était levé de bon matin … vraiment tôt en fait, beaucoup trop tôt même. Le concours de cueillette allait commencer et il fallait être présent dès le commencement pour accueillir les candidats.
Accompagné d’Hanae, qui tenait absolument à accompagner son père, ils saluèrent discrètement Aspho-chan, qui les rejoindrait plus tard, avant de se rendre de l’autre côté du pont dans les vergers de Clermont.
Hanae ne tenait plus en place. Depuis la veille déjà, elle avait préparé son panier et vérifier sa petite échelle à plusieurs reprises. C’était un plaisir que de la voir ainsi prendre soin de son matériel, lequel avait été conçu pour répondre à tous ses besoins. Inutile de dire qu’il se prêtait plus à ramasser des grappes de raisins qu’à escalader le plus haut des abricotiers.
A l’entrée du verger, ils choisirent un endroit confortable d’où ils pourraient surveiller les alentours. Assis en zazen, Matabei tenta de profiter de l’instant pour persévérer dans la difficile mission confiée aux parents envers leur enfant. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte que l’attention de sa fille était dissipée par une plante herbacée aux jolies fleurs écarlates à la base noire. Elle devait certainement déjà se demander ce qu’elle pouvait bien en faire.
« Hanae-chan, » fit Matabei le regard toujours vissé sur les vignes qui courraient sur les flancs des coteaux, « Es-tu en train de regarder ces fleurs ? ».
La petite fille avala sa salive. Elle savait que si elle répondait honnêtement, son père allait lui parler pendant des heures de cette fleur. Ce n’était qu’une fleur, rien d’autre. Il n’y avait pas lieu d’en faire un drame … Elle ne l’aurait peut être pas mangée, juste goûtée pour voir. Elle savait également qu’il lui fallait répondre.
« Oui, papa ». En son fort intérieur, elle aurait souhaité dire « non », « non, non et non ». S’opposer semblait si naturel. En tout cas c’était beaucoup plus amusant. Son père froncerait alors le sourcil et lui expliquerait que le « non » n’existe pas. Qu’il est très discourtois de dire non, qu’il vaut mieux dire que « c’est difficile » et laisser à son interlocuteur le soin de comprendre par lui-même que cela ne serait pas possible. Balivernes que tout cela, si elle disait non, c’était non. Rien ne pouvait s’opposer à sa propre volonté.
« Bien, ma fille », dit Matabei – conscient du passage que traversait Hanae – la première adolescence, le commencement de la conscience des autres par l’assertion du soi, « si tu aspires à devenir une ishiken, où même simplement un enfant, tu devras toujours être consciente de tout ce qui t’entoure ».
Fronçant le sourcil à son attention, il poursuivit « surtout quand de dangereuses fleurs sont impliquées. Ces fleurs là sont des Adonides, Hanae Il y a fort longtemps, Adonis était un beau jeune homme qui tomba amoureux d’Aphrodite. Artémis en prit ombrage et le fit tuer par un sanglier. Ces fleurs sont teintées du sang d’Adonis. Il s’agit d’un poison violent, ni toi, ni moi, ni personne ne doit y goûter. »
Hanae hocha la tête quelque peu hésitante. Elle était encore jeune et avait tant à apprendre. Comme son père, elle reprit sa méditation en se demandant où elle pourrait trouver les plus beaux fruits une fois que le soleil aura réchauffé la terre.